Stratégie
Apple, une pomme bien juteuse…
Pomme d’amour, pomme tatin, pomme au four… La France ne manque pas d’idées créatives pour la cuisiner. Mais c’est un Américain qui en a tiré la meilleure recette. Un certain Steeve Jobs a mis à jour une variété de pommes très juteuse, la McIntosh. Et force est de constater que son travail dans le verger de l’Apple Park a porté ses fruits !
Fruit de la connaissance du Bien et du Mal, la pomme possède par essence une identité de marque forte. Choisie depuis la création d’Apple Incorporation pour symboliser l’image de marque, elle devient pomme de discorde lorsqu’on la sollicite pour justifier l’histoire du nom de la marque. Certains s’y sont essayés à l’exemple de Jean-Louis Gassée, cadre dirigeant de l’entreprise entre 1981 et 1990. Pour lui, « le symbole d’Apple Computer n’a pas été choisi purement au hasard : il représente la troisième Pomme, celle qui élargit les chemins du savoir conduisant au futur » après la pomme d’Ève et celle de Newton. Cette interprétation pourrait nous satisfaire-elle si était officielle.
Mais le storytelling retenu par les fondateurs s’oriente davantage vers un épisode de la vie diététique de Steeve Jobs en personne. En visite dans une ferme pour suivre son régime essentiellement composé de fruits, ce dernier aurait songé à la pomme pour son ambivalence : simple et sophistiquée, sucrée et acidulée. Il a également plaisanté sur le fait que la marque Apple précédait son concurrent Atari dans l’annuaire selon l’ordre alphabétique.
Au commencement d’Apple, Ronald Wayne, créatif, a réalisé un premier logo. Il s’agissait d’une gravure représentant la découverte de la gravité par Isaac Newton. Jugée trop intellectuelle, cette image a vite été jetée au compost. Il fallait un logo plus percutant, plus cohérent : juste une pomme. Le graphiste Ronald Janoff fut choisi pour l’inventer. Il avait pour unique directive de designer un fruit qui ne soit pas « mignon ». Il conserve la rondeur du fruit, mais ajoute une trace de morsure. Interrogé à son sujet, il a proposé une explication assez terre à terre. De fait, il tenait à introduire une échelle de grandeur afin que la pomme du logo ne soit pas confondue avec une cerise ou une tomate. Le jeu de mot entre byte* et bite** a aussi été invoqué.
Concernant les couleurs de son identité visuelle, Apple s’est défendue d’avoir choisi les couleurs de l’arc-en-ciel dans le but de soutenir la cause homosexuelle. L’entreprise cherchait plutôt à mettre en valeur son produit Apple II, le seul ordinateur capable de supporter un affichage en couleurs. Depuis 1998, les sept couleurs ont disparu pour laisser place à une identité graphique plus sobre. L’impression du logo multicolore revenait trop chère et manquait de modernité. En 1998, il devient plus uniforme, d’abord bleu translucide puis noir jusqu’en 2001. De 2001 à 2007, il prend le reflet de l’eau et désormais il est de couleur chrome. Ce gris métallisé connote bien entendu l’élégance en communication et, en raison de sa sobriété, il sied à tout le monde.
Le premier slogan « Byte into an apple »*** avait davantage de mordant. Mais il fut abandonné en 1997 au profit de la baseline « Think different » répondant au « Think » d’IBM. D’après Steeve Jobs, il ne s’agit pas de penser différemment des autres, auquel cas, il aurait choisi « Think differently » mais plutôt d’accepter d’être « différent ». Cette subtilité d’ordre grammatical nous renvoie au fait que les produits de la marque Apple, de par leur design soigné et leurs performances presque inégalées, sortent de l’ordinaire, au même titre que leurs utilisateurs. Pour illustrer ce point de vue dans un spot publicitaire Apple, une citation de Jack Kerouac, issue du roman Sur la route, a été reprise :
“Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents,
Tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles.
Vous pouvez les admirer ou les désapprouver, les glorifier ou les dénigrer.
Mais vous ne pouvez pas les ignorer, car ils changent les choses.
Ils inventent, ils imaginent, ils explorent
Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l’humanité.
Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie.
Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent.
Ces belles paroles nous éclairent probablement sur un chiffre d’affaires astronomique s’élevant à 52,8 milliards de dollars en 2017 et une capitalisation boursière qui approche les 1000 milliards de dollars. Une belle leçon de tolérance, et d’économie qui produit une pomme… bien juteuse.